Le discours bien rodé contre les batteries
Depuis des années, on nous martèle que les batteries sont le problème des VAE. Extraction du lithium, recyclage complexe, obsolescence programmée… Le discours est rodé et cristallise toutes les critiques environnementales dirigées contre les vélos électriques.
Sauf que les vrais chiffres racontent une histoire complètement différente. Dans une enquête publiée récemment par Vert en partenariat avec UFC Que Choisir, les journalistes citent les travaux d’Anne de Bortoli, chercheuse spécialisée dans l’impact carbone des transports à l’École polytechnique de Paris, qui révèlent une réalité bien différente.
Les chiffres qui changent tout
Selon l’analyse d’Anne de Bortoli publiée en 2023 dans le magazine de l’Institut polytechnique de Paris, la fabrication d’un VAE représente 94% de son empreinte carbone pour un vélo ayant parcouru 20 000 kilomètres. Mais la répartition de cet impact bouleverse les préjugés :
- Cadre en aluminium : 181 kg de CO2 équivalent (76% de l’impact total)
- Moteur : 37 kg de CO2 équivalent (15,5%)
- Batterie : 20 kg de CO2 équivalent (8,5% seulement)
Le ratio : 1 pour 9, en faveur de la batterie. Le cadre qu’on ne remarque plus représente donc l’essentiel de l’empreinte carbone d’un VAE, tandis que la batterie qu’on pointe systématiquement du doigt ne pèse que pour moins de 10%.
Dans un VAE, c’est le “V” qui pollue, pas le “AE”
Cette révélation change la perspective sur l’impact environnemental des vélos électriques. Ce n’est pas l’assistance électrique qui pose problème, c’est la fabrication du vélo lui-même. L’acronyme VAE prend un sens nouveau : dans “Vélo à Assistance Électrique”, c’est bien le “V” de vélo qui génère l’impact majeur, pas le “AE” de l’assistance électrique.
L’aluminium, matériau privilégié pour la plupart des cadres modernes, s’avère particulièrement énergivore à produire. La production d’un cadre de 20 kg en aluminium fabriqué en Chine génère à elle seule 181 kg de CO2 équivalent, soit neuf fois plus que la batterie complète du système électrique.
L’électrification comme solution écologique
Face à ce constat, l’électrification de vélos existants s’impose comme une solution environnementale intéressante. Comme l’explique l’enquête de Vert, “l’électrification de son vélo évite donc la fabrication d’un nouveau cadre, maillon le plus polluant de la chaîne. À condition, bien sûr, de prolonger la durée de vie de son biclou et non d’en acheter un flambant neuf.”
Les kits d’électrification permettent ainsi d’éviter les fameux 181 kg de CO2 équivalent du cadre neuf tout en conservant les 20 kg de la batterie. L’économie d’impact carbone atteint 89% par rapport à l’achat d’un VAE neuf.
Un levier pour la transition modale
L’enjeu dépasse la simple réduction d’impact carbone. Aurélien Bigo, chercheur spécialisé dans la transition énergétique des transports cité dans l’enquête, souligne que l’électrification démocratise le vélo électrique : “Avec son coût plus abordable, cette méthode peut amener de nouvelles catégories de personnes vers le VAE, pour qui le prix était un frein.”
Les chiffres de la transition modale sont éloquents : “Le simple ajout d’un moteur et d’une batterie peut avoir des effets significatifs sur les changements d’usages. On constate aujourd’hui que l’électrique encourage les anciens automobilistes à se mettre au vélo, mais aussi les personnes âgées ou peu sportives. Au final, les VAE permettent de remplacer 50 à 70% des trajets autrefois faits en voiture”, complète le chercheur.
L’argument économique qui compte
Le coût reste un frein majeur à l’adoption des VAE neufs. Avec un prix moyen avoisinant les 2000 euros selon UFC Que Choisir, l’acquisition d’un VAE neuf représente un investissement important pour de nombreux ménages. L’électrification offre une alternative économique avec des kits homologués disponibles entre 400 et 1100 euros.
Cette accessibilité économique favorise l’adoption de la mobilité électrique par de nouvelles catégories d’usagers. Paris et Lyon accordent d’ailleurs jusqu’à 400 euros d’aide à la conversion, Toulouse et Bordeaux 250 euros, Strasbourg 150 euros. Des régions complètent le dispositif avec jusqu’à 200 euros en Île-de-France ou dans le Grand Est.
L’évolution de la bicyclette vers l’insoutenabilité
L’analyse historique révèle une tendance préoccupante. Selon les recherches de Low-tech Magazine, “la bicyclette a évolué très lentement jusqu’au début des années 1980, puis a soudainement subi une succession rapide de changements qui se poursuit aujourd’hui.” Cette évolution s’accompagne d’une augmentation de l’utilisation des ressources et d’une diminution de la durée de vie.
Avant les années 1980, pratiquement tous les vélos étaient fabriqués en acier et présentaient une excellente compatibilité des composants entre marques et générations. Les cycles pouvaient ainsi être maintenus en état de marche pendant des décennies grâce à la réparation et au reconditionnement.
L’incompatibilité programmée
Aujourd’hui, les fabricants ont introduit un nombre croissant de pièces propriétaires et changent constamment les standards, créant des problèmes de compatibilité même pour les vélos plus anciens de la même marque. Cette stratégie commerciale force au remplacement complet plutôt qu’à la réparation, réduisant artificiellement la durée de vie des équipements.
Comme le souligne une étude sur la circularité dans l’industrie du cycle : “L’abandon de la standardisation est un modèle commercial rentable car il garantit que les vélos ne peuvent rouler que pendant une durée limitée.”
Un changement de discours médiatique
Cette prise de conscience commence à percer dans les médias spécialisés. L’enquête de Vert et UFC Que Choisir rejoint d’autres voix qui plaident pour une approche plus nuancée de l’impact environnemental des VAE. L’électrification de vélos existants y est présentée comme “une solution plus économique et plus écologique que l’achat d’un vélo électrique neuf.”
La batterie pourrait sauver le vélo
Finalement, la batterie, si souvent accusée de porter atteinte à l’environnement, pourrait bien être la clé de la démocratisation durable du vélo. En rendant l’assistance électrique accessible via l’électrification, elle permet d’éviter la fabrication de nouveaux cadres tout en favorisant l’abandon de la voiture pour des trajets quotidiens.
L’électrification répond aux deux défis majeurs de la mobilité durable : réduire l’impact carbone en évitant la fabrication de nouveaux cadres et démocratiser l’accès à la mobilité électrique en divisant les coûts par deux à trois. Même performance, coût réduit, impact carbone minimisé.
Dans un contexte où la transition écologique exige des solutions pragmatiques et accessibles, l’électrification de vélos existants s’impose comme une évidence documentée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : quand on accusera de nouveau les batteries de VAE de polluer, il faudra rappeler qu’elles polluent neuf fois moins que le cadre qu’elles équipent. Et surtout, qu’elles ouvrent la voie à une mobilité plus accessible et plus durable pour tous.
Sources :
https://vert.eco/articles/kits-tarifs-comment-transformer-votre-bicyclette-en-velo-electrique
https://solar.lowtechmagazine.com/2023/02/can-we-make-bicycles-sustainable-again